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Adieu Philippine

1960, Paris. Michel Lambert est machiniste Ă  la tĂ©lĂ©vision. Pour sĂ©duire deux jeunes filles, amies insĂ©parables depuis toujours, il se fait passer pour un opĂ©rateur ayant des responsabilitĂ©s importantes au sein de la chaĂ®ne. Très vite Ă©prises du garçon, Liliane et Juliette lui proposent une rencontre avec le rĂ©alisateur Pachala, qui leur a fait tourner une publicitĂ© pour une cire. En fait, Pachala utilise les adolescents pour la rĂ©alisation d’un autre spot publicitaire (pour un rĂ©frigĂ©rateur) et disparaĂ®t sans payer personne. LicenciĂ© par la Radio TĂ©lĂ©vision Française, Michel, dont l’appel pour le service militaire et le dĂ©part pour l’AlgĂ©rie sont imminents, veut profiter de ses dernières semaines de libertĂ©. Il prend la voiture achetĂ©e avec quelques copains, et part au « Club MĂ©diterranĂ©e » en Corse ; il y est rejoint par surprise par Juliette et Liliane, plus attachĂ©es Ă  lui qu’il ne veut le croire. Il s’amuse avec l’une et l’autre sans se soucier des sentiments amoureux naissants et de la jalousie qui s’installe entre les deux filles. L’Ă©tĂ© passe ; la convocation pour l’AlgĂ©rie parvient Ă  Michel. Ils les quittent sans pouvoir leur dire quoi que ce soit sur un possible avenir avec l’une ou l’autre. Il continuera avec celle des deux qui saura l’attendre. Les deux insĂ©parables l’accompagnent au bateau, et, tant qu’elles peuvent l’apercevoir, lui disent adieu de la main.

RĂ©alisation. Jacques Rozier
ScĂ©narioet dialogues. Michèle O’Glor, Jacques Rozier
Image. René Mathelin
Cadrage. Jean Boffety
Son. Maurice Laroche, Louis Perrin, Jean-Michel Pou-Dubois
Montage. Monique Bonnot, Marc Pavaux, Jacques Rozier
Scripte. René Kammerscheit
Assistant réalisateur. Gabriel Garran
Musique. Jacques Denjean, Paul Mattei, Maxime Saury
Photographe de plateau. Raymond Cauchetier
Production. Unitec France, EIA – Euro International Film (Roma), Rome-Paris Films, Alpha France
Distribution. Antinéa (Paris) / Théâtre du temple
Format. 35 mm, Noir et blanc
Durée. 1h48
Sortie en salles (Paris). 25 septembre 1963 / 28 Septembre 2005 (reprise)

Interprétation
Jean-Claude Aimini / Michel
Yveline Cery / Liliane
Stefania Sabatini / Juliette
Arlette Gilbert / La mère
Maurice Garrel / Le père
Jeanne PĂ©rez / La voisine
Coquette Deschamps / La mère de Liliane
Vittorio Caprioli / Pachala
AndrĂ© Tarroux / RĂ©gnier de l’Isle
Daniel Descamps / Daniel
Michel Soyet / André
David Tonelli / Horatio
Christian Longuet / Christian
Charles Lavialle / Le voisin
Edmond Ardisson / Le chef d’Ă©mission
Mitzi Hahn / Une starlette du roman-photo
Nadine Staquet / Une starlette du roman-photo
Michèle Padovani / Une des filles prises en voiture
Marianne Padovani / Une des filles prises en voiture
Jean-Christophe Averty / Le metteur en scène
Stellio Lorenzi / Un comĂ©dien de la pièce d’Emmanuel Roblès « Montserrat »
Maxime Saury / Un comĂ©dien de la pièce d’Emmanuel Roblès « Montserrat »
Robert Hirsch/ Un comĂ©dien de la pièce d’Emmanuel Roblès « Montserrat »
Michel Piccoli / Un comĂ©dien de la pièce d’Emmanuel Roblès « Montserrat »
Pierre Frag / Dédé
Rudo Cardi / Le chanteur corse
Lulu / Le pĂŞcheur corse
Maguy Zani / La chanteuse corse
Marco Perrin / Le propriétaire du magasin
Jean-Claude Brialy / Un comédien qui passe
Annie Markham / La voix de Juliette

RĂ©compenses. Grand Prix de la FĂ©dĂ©ration des CinĂ©-clubs (1963) – Grand Prix des Rencontres cinĂ©matographiques de Prades (1962) – Ducat d’or de Mannheim (1962) – Prix du meilleur premier film dĂ©cernĂ© par la Junge Filmkritik (Oberhausen – 1962).

Autour du film

« Sur fond de marivaudage amoureux et de guerre d’Algérie, l’histoire de ce jeune technicien licencié de la télé qui veut se lancer dans le cinéma colle à son époque comme peut-être aucun autre film de ces années-là.Adieu Philippinesemble, à cet égard, l’archétype du film Nouvelle vague. budget réduit, large improvisation, tournage en extérieur, son direct, exaltation de la jeunesse, révélation de nouveaux acteurs, sensualité des corps, désinvolture et insolence de la gestuelle et du langage, enregistrement des mutations sociales, culturelles et médiatiques de l’époque. Tout y est. En même temps – tout Rozier étant vraisemblablement dans cet écart –, rien n’y est. Le son direct. Refait intégralement en studio. La guerre d’Algérie. Terminée à l’heure où le film sort. La Nouvelle Vague. Sinon achevée, elle aussi, du moins en plein reflux aussi bien comme mouvement collectif que du point de vue de sa fréquentation. Sorti trop tard pour coïncider exactement avec les bouleversements politiques et artistiques de l’époque,Adieu Philippineplace Rozier sous le signe du faux raccord et de l’effet retard. » 1

« PlutĂ´t que de « justesse de ton » – qui est un clichĂ© –, il faudrait parler de vraisemblance, plus Ă©tudiĂ©e et Ă©crite qu’il n’y paraĂ®t. Comme l’Ă©crivait Truffaut d’Adieu Philippine: « Ce n’est pas parce que ce sont des personnages « du peuple » et des sentiments Ă©lĂ©mentaires que nous sommes touchĂ©s mais parce que tout cela est filmĂ© avec intelligence, avec amour, avec Ă©normĂ©ment de scrupules et de dĂ©licatesse. » » 2

A la sortie du film et lors de ses diffĂ©rentes (re)dĂ©couvertes, les critiques ont souvent soulignĂ© l’impression de fraĂ®cheur, de spontanĂ©itĂ©, de naturel que dĂ©gage ce film. Un sentiment de puretĂ© (dans les actions, mouvements, gestes, regards, paroles des personnages) s’impose et gĂ©nère quelques moments de grâce oĂą se font sentir la fragilitĂ© et la vĂ©ritĂ© de quelques instants arrachĂ©s au rĂ©el et qui offrent une dimension sensible au rĂ©cit. Le temps du tournage est souvent, comme chez Maurice Pialat et Jean Eustache, celui du film. Et c’est bien l’impression d’un rĂ©cit en work in progress qui s’installe, comme si l’aventure du film qu’est en train de tourner Jacques Rozier coĂŻncidait avec celle des trois jeunes, de Paris Ă  Calvi. Chaque film est pour Jacques Rozier une aventure… dans tous les sens du terme… Adieu Philippine tout autant que les films qui suivront (pour certains d’entre eux davantage travaillĂ©s par le vagabondage, la durĂ©e, l’abandon du rĂ©cit au tournage).


Chaque film du cinéaste invite au voyage certes, mais aussi à la circulation (des corps) dans l’espace. Ainsi, dans Adieu Philippine. on bouge beaucoup, on surgit, on marche énormément, on court, on s’en va et on revient… nul doute que l’énergie de ce premier long-métrage tient à ce refus de l’inertie et à ce désir profond de ne jamais, quoi qu’il en soit, s’arrêter (dans le récit – constitué de plusieurs étapes et assez progressif – comme nous les verrons plus loin ; dans les scènes ou entre ces scènes ; à l’intérieur ou entre leurs plans). Le début du film qui présente le tournage d’une émission musicale jazzy (ZZ Memories de Jean-Christophe Averty pour l’ORTF) est fait de multiples mouvements (ceux de la caméra de Jacques Rozier et ceux des caméras, opérateurs et machinistes de l’émission présents sur le plateau). Ce début est travaillé par une énergie débordante, amplifiée par le son du morceau jazz joué en live par le clarinettiste Maxime Saury. Quelques minutes plus tard, Michel expliquera aux deux jeunes filles que son travail au sein de la télévision est d’assurer « la circulation sur le plateau ». Une manière détournée d’exposer la posture du cinéaste qui est en train de le filmer.

« Au moment où j’ai tourné Adieu Philippine. j’ai certainement été influencé par Les Quatre cents coups de Truffaut ou par certaines audaces de Godard », dit-il. « Mais, au fond, ce sont surtout Renoir, Vigo, Pagnol que je considère, en France, comme mes maîtres et, en Italie, Rossellini et Castellani. Je me souviens que, lorsque je tournais, en 1958, mon court-métrage Blue Jeans. qui eut à l’époque un certain succès, je me suis dit tout à coup. « Tiens, je fais du cinéma italien. » » 3

« En 1955, j’ai demandĂ© Ă  la productrice deFrench Cancand’ĂŞtre stagiaire sur ce film de Jean Renoir. Ca a marchĂ©. Je n’avais, en fait, rien d’autre Ă  faire qu’observer Renoir pendant trois semaines… Il abordait une scène sans idĂ©es prĂ©conçues et demandait aux acteurs « d’essayer ». Par petites touches – un peu plus comme ci, un peu moins comme ça –, Renoir arrivait Ă  un rĂ©sultat qu’il construisait de bout en bout mais qui mettait ses acteurs en joie parce qu’ils croyaient avoir improvisĂ©. J’essaie de trouver cet Ă©quilibre entre la lĂ©gèretĂ© de l’improvisation et le travail. » 4

Car il ne s’agit pas seulement de filmer la libertĂ© de trois jeunes adolescents qui dĂ©cident de s’offrir une parenthèse en Corse ; il s’agit aussi et surtout pour Jacques Rozier de filmer en toute libertĂ©, sur le moment, en mettant en situation des acteurs non professionnels (qu’il ne dirige pas mais qu’il accompagne ; qu’il met sur les rails en espĂ©rant le dĂ©raillement ; qu’il met dans des situations plus qu’au cĹ“ur des actions ; qu’il sollicite dans leur capacitĂ© Ă  inventer toujours, sans cesse). Filmer librement revient Ă  permettre aux acteurs d’agir sur le cours du rĂ©cit, par petites touches, de manière plus moins prononcĂ©e… mais avec une libertĂ© de ton et de jeu qui leur permet de ne jamais ĂŞtre Ă  contre-courant…

« Un jour, le mauvais temps a empêché Godard de tourner ce qu’il avait prévu. Il a improvisé une nouvelle scène, dans un nouveau lieu. Sa méthode de travail est un exemple. Il invente, au moment où il faut. En même temps, son attitude est un commentaire de son propre film. Car Godard, pour parvenir à ses fins, ne lutte pas contre le courant. il prend le « parti des choses ». » 5

Des rushes…mais du montage…

« J’étais amoureux du néoréalisme italien. Ma grande fierté, en voyantBlue Jeanset des moments d’Adieu Philippine, c’était de me dire. ça ressemble à un film italien. Sortir dehors avec une caméra, voilà la Nouvelle Vague. Avec Godard, on a fait ça toute notre vie, de façon radicale. l’idée qu’il faut saisir l’instant, même s’il s’échappe tout le temps. Ma méthode a toujours été de laisser les interprètes formuler seuls, leur propre langage, leurs gestes. Je propose quelque chose, et les acteurs doivent le finir, avec ce qu’ils sont dans la vie. » 6

Le générique du début du film est très énergique ; le montage des images colle au rythme de la musique et les mentions écrites présentées, se calent à chaque nouvelle percée instrumentale, qui s’adapte autant l’émission de Jean-Christophe Averty réalisée en direct-live, qu’au démarrage du récit de Jacques Rozier. A tel point que certains mentions écrites du générique (notamment la partie « musique ») concernent autant sinon plus à l’émission de télévision qui débute sous nos yeux que le film de Jacques Rozier qui démarre aussi au même moment – on est en face de deux débuts et en ce sens d’un enchâssement narratif assez subtil). Une impression d’harmonie s’empare de ce début de film par le fait que la télévision, filmée par Jacques Rozier, devient elle-même le sujet de son film de cinéma, jusqu’à le pénétrer par le montage (voir le faux coup de pied aux fesses que Daniel met à Michel – à 1 minute –, au moment précis où surgit la musique et où la mention écrite du générique vient le présenter).

La plupart du temps, Adieu Philippine propose un montage chaotique qui ne privilégie pas la fluidité narrative. L’accumulation de scènes autonomes (la promenade au Bourget, le pique-nique sur la plage, la rencontre avec le plongeur sur le bord de la route, etc.) empêchent l’installation et le déroulement linéaire et prévisible du récit. Jacques Rozier privilégie la rupture, les sauts, les coupes franches, les faux raccords, les répétitions (mouvement coupé puis repris au début dans le studio de télévision lorsque Michel sort chercher un nouveau casque – à 1 minute ; scène de la promenade en voiture entre copains – à 10 minutes ; scène de la discussion entre Juliette et Liliane dans la cuisine – à 43 minutes ; travelling latéral de la promenade dans la rue qui est coupé à plusieurs reprises et ponctué par la discussion entre les deux jeunes filles qui vient prendre le dessus sur la musique – à 29 minutes,…).

La densitĂ© narrative s’obtient ainsi Ă  ce prix. Il s’agit de proposer au spectateur une succession de moments qui trouveront leur place, leur fonction, leur sens, dans la durĂ©e et non dans l’efficacitĂ© dramatique du rĂ©cit. « (…) ce n’est pas l’importance de « la scène Ă  faire » pour « expliquer » les personnages ou les situations, comme cela se voit dans tant d’autres films, qui commande pour lui la durĂ©e d’une sĂ©quence, mais la place qu’elle doit prendre dans l’économie gĂ©nĂ©rale du film. » 7

La scène de visionnement des rushes de la publicitĂ© (19 minutes et 40 secondes) ne signifie pas autre chose ; elle est l’hyperbole de la posture du cinĂ©aste qui montre et « monte » (alors que la source reste du « tournĂ©-montĂ© ») de rushes sans se soucier de mĂ©nager le spectateur. Ainsi, Jacques Rozier prĂ©sente une sĂ©rie de rushes (les siens) autour d’autres rushes publicitaires sous quatre angles prĂ©cis (du fond de la salle, face en direction de l’Ă©cran ; de biais en direction du producteur Pachala et de son client ; face aux deux jeunes filles en avant plan ; et en plein Ă©cran – l’écran de cinĂ©ma qui diffuse les rushes de la publicitĂ© se confond avec le notre). Cet enchâssement vient donc rĂ©vĂ©ler subtilement la position d’un cinĂ©aste, soucieux de travailler son rĂ©cit de l’intĂ©rieur – par un montage soutenu et sans concession vis-Ă -vis de la narration –, tout en l’aĂ©rant par l’utilisation d’une matière première (des rushes) dĂ©livrĂ©e comme telle (la succession des claps en gros plans lors du tournage de la publicitĂ© pour le rĂ©frigĂ©rateur met en avant la matière première et son utilisation par le montage au sein du film de Jacques Rozier). Les rushes des rĂ©alisations tĂ©lĂ©visĂ©es (Ă©mission de jazz, fresque historique Montserrat, publicitĂ©s – cire et rĂ©frigĂ©rateur –), deviennent la matière mĂŞme du film de Jacques Rozier.




« Il y a deux films dansAdieu Philippine. Au cœur du premier, léger, enjoué, allègre, voici la séquence de la projection des « rushes » publicitaires. Au cœur du second, grave, déchirant, mélancolique. la séquence de l’embarquement de Michel Lambert.

Pourquoi ces deux scènes-là. La première, parce qu’elle traduit avec éloquence le goût très vif de Rozier pour les « rushes ». Ce qui est beau, ce qui est drôle, ce qui touche, ce n’est pas un plan coupé, monté, serré, perdu entre deux autres plans. Ce qui est beau, c’est deux fois le même plan, ou plutôt presque le même plan. Donc, deux prises du même plan. Un plan libéré des contraintes du montage, exalté de se retrouver face à son double, vivant de sa vie propre. Exactement comme les deux filles. Presque la même fille, deux fois, s’exaltant de cette duplicité.

Ici, le charme, la drôlerie ne naissent pas seulement de la répétition. Mais de ce qu’apparaît tout ce qui habituellement éliminé par le montage, tout ce qui échappe à l’ordre du montage. Le charme, c’est que le plan se prolonge au-delà de ce qu’il doit nous dire, nous apprendre. Le balai qui renverse les bidons de cire, le bébé qui pleure, qui hurle, autant d’accidents qui condamnent le plan, mais font la saveur des rushes. » 8

Des vitesses et des courbes…

« Que trouve-t-on dans les films de Rozier. Du sport, des excursions, de la musique, du charmant bavardage, des fous rires étouffés, des danses, des moments complices, de la drague, des jolies filles (celles de Du côté d’Orouët sont cousines des rohmériennes, avec un poil de cruauté en plus), le programme des films de Rozier est finalement le même que celui du Club Med. Mais, heureusement pour le cinéma, ce programme est rapidement déjoué. Rien ne marche comme prévu et les films de Rozier peuvent se targuer d’être les plus beaux des « voyages désorganisés. » 9

MalgrĂ© les hĂ©sitations, flottements, rĂ©pĂ©titions, longueurs volontaires, deux vitesses cohabitent. La première rapide et efficace qui travaille le rĂ©cit parisien (Michel et son ami l’expliquent Ă  Pachala Ă  la Maison du cafĂ©. « nous on a l’habitude de travailler vite… pas comme ceux qui font du cinĂ©ma » .) La première partie du film serait donc sous-tendue par une vitesse propre Ă  la tĂ©lĂ©vision. l’immĂ©diatetĂ© narrative empĂŞche les temps morts, crĂ©Ă© des ellipses, impose une dynamique interne qui fait saillie constamment dans le rĂ©cit. « Mademoiselle, on est pressĂ©. ». lance Michel Ă  la serveuse dans le restaurant. Jacques Rozier est quant Ă  lui pressĂ© de faire se succĂ©der les situations ; une sorte d’effet « boule de neige », de dĂ©terminisme des situations s’emparent du rĂ©cit dans sa première partie (Paris – du dĂ©but jusqu’Ă  une heure). Un seul exemple parmi bien d’autres (mais probablement le plus marquĂ©). Ă  une heure environ, Michel se fait licencier et envisage de partir au Club Med en Corse. Dix secondes plus tard Ă  peine, on le retrouve sur une plage au soleil. Tout va très vite…rapiditĂ© soudaine. Les situations se succèdent et s’enchaĂ®nent sans rĂ©pit.

Mais en Corse, le rythme est diffĂ©rent ; contrairement Ă  Paris, le vagabondage est privilĂ©giĂ©. Si l’histoire avec Pachala enrichit plus ou moins le rĂ©cit parisien, il n’en est pas vraiment de mĂŞme pour la partie corse. Si le voyage vers Pachala oriente un temps le parcours des jeunes en Corse, on constate que l’errance et le voyage prennent le pas sur l’obligation de retrouver le fuyard. Ils se trompent de route mais ne feront pas demi-tour, prĂ©fĂ©rant ainsi aller oĂą le hasard les conduira, sans se soucier de savoir s’ils pourront retrouver le producteur qui leur doit de l’argent.


Plus globalement, le rĂ©cit d’Adieu Philippine est sous-tendu par la finalitĂ© du dĂ©part en AlgĂ©rie (mĂŞme si on en parle finalement assez peu). La gestion et la perception temporelles du rĂ©cit obĂ©issent Ă  cette Ă  cette issue inĂ©vitable. Dès le dĂ©but, ça doit finir, on le sait. Le sablier est en route ; le temps calculĂ© ; l’Ă©tau en train de se resserrer. Les jours sont comptĂ©s et ce dĂ©part rĂ©sonne comme le point final d’une aventure, d’une rencontre, du marivaudage et du film de Rozier. Pour autant, le rĂ©cit n’est en rien programmatique, car le cinĂ©aste surprend sans cesse, dĂ©tourne les lignes narratives, fait des pauses, injecte des Ă©lĂ©ments nouveaux au fil du film (qui aurait pensĂ© retrouver Pachala en Corse ?). Jacques Rozier varie les vitesses et tord son rĂ©cit jusqu’à le faire plier dans un sens, et dans l’autre… ArrivĂ©s Ă  Ajaccio, ils doivent repartir Ă  Calvi car il n’y a plus de place sur le bateau… une nuit de plus, un voyage supplĂ©mentaire, une courbe narrative qui vient suspendre un peu plus la fin qui semblait arriver mais que l’on retarde encore…

« Les films de Jacques Rozier obéissent, peu ou prou, au même processus. quitter une vie ordinaire, sortir des rails, chercher l’aventure au coin de la rue. Thème aujourd’hui récurrent dans le cinéma français (rien que ces deux derniers mois,De la guerrede Bertrand Bonello,La frontière de l’aubede Philippe Garrel et A l’aventure !de Jean-Claude Brisseau sont eux aussi bâtis sur le refus du quotidien et l’appel vers un « ailleurs » que ces films peinent d’ailleurs à figurer), mais manière tout à fait singulière de Rozier d’accorder son cinéma au diapason de cette quête. En un mot comme en cent (disons plutôt en onze. « puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs »), le plus admirable est la confiance (ou l’inconscience, c’est selon) telle que Rozier place dans son cinéma pour faire advenir et saisir l’inattendu, un inattendu parfois burlesque mais un inattendu toujours poétique. » 10

« En bon élève de l’école néoréaliste italienne, c’était l’idée des gens pris dans la rue. Le garçon et ses copains ont apporté la vérité, leur langage, le langage moderne de l’époque. Comme Godard, j’avais été très impressionné par le film de Jean RouchMoi, un noir. je voulais ce côté-là, pris sur le vif et semi-improvisé. » 11


Comme Jacques Rozier nous y habituera pas la suite avec ses autres films, Adieu Philippine est une film du langage, celui de la jeunesse, des conversations sans but, pleines d’hĂ©sitations, de ratĂ©s, de mots lancĂ©s au grĂ© du jeu, au fil des rencontres. On parle beaucoup ; au microphone Ă  la tĂ©lĂ©vision, au tĂ©lĂ©phone, dans l’oreille de son voisin ou de sa voisine, par chuchotement ; on sait faire le silence aussi, couper court Ă  une discussion en l’Ă©vitant (DĂ©dĂ© Ă  table lorsqu’il refuse de parler de l’AlgĂ©rie). Mais les phrases sont chaotiques (du fait de la post-synchronisation notamment) ; les paroles quelquefois peu audibles… on ricane, on crie, on souffle, on soupire, on hurle…autant qu’on Ă©change des mots intelligibles. Plus que la musique (le cha-cha-cha, le jazz, le mambo, etc.) très prĂ©sente dans le film, ce sont les mots, le babil, bavardages futiles qui donnent ce sentiment de musicalitĂ©. La nature, la chair, les regards, les corps se font dansants ; les plans se font musique, le montage la partition d’un rĂ©cit rythmĂ© tous azimuts…


« Ainsi, il sera bon de lire ce texte entre les lignes. Tel bafouillage, telle hésitation, tel silence en disent plus long ici que les paroles.Adieu Philippineest un documentaire sur notre langage donc sur les accidents du langage, cette part spontanée, inconsciente, profonde du verbe. ce que nous ne voudrions pas dire nous révèle plus que tout autre expression. » 12

« Si l’on me demande quelle est la qualité essentielle d’un réalisateur en train de tourner, je réponds que c’est de ne pas savoir ce qu’il veut. Si l’on dit de moi : « avant de tourner, il ne sait pas ce qu’il veut », ce n’est pas une vacherie, c’est un compliment… Je crois qu’il est important surtout de savoir ce que l’on ne veut pas. Quant au reste, le talent est sans doute de pouvoir dire, comme Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve. » Mais trouver avant d’avoir commencé, ah. Non, ça jamais, quelle misère. Personnellement, je désire être mon premier spectateur et je désire aussi me montrer des films que je n’ai pas encore vus. Si, avant de commencer, je vois très bien le film, je m’ennuierai quand il sera terminé, c’est donc qu’il sera mauvais. Au reste, pourquoi gâcher de la pellicule à tourner un film que l’on voit si bien sur le papier. Si ce n’est pas pour se surprendre soi-même, à quoi bon faire du cinéma. » 13

1. Emmanuel Burdeau (sous la direction de), Jacques Rozier, le funambule. Editions des Cahiers du cinéma / Centre Pompidou, Paris, 2001, pp. 12-13.
2. Jean-Baptiste Morain, « A l’ombre d’un Rozier en fleurs », in Les Inrockuptibles. n° 77, 30 Octobre 1996.
3. Entretien avec Jacques Rozier par Jean Néry, « Dans cinq ans, tout aura changé », in Le Matin. 02 et 03 Septembre 1978.
4. Entretien avec Jacques Rozier par Philippe Piazzo, « En balade avec Rozier », in Télérama. n° 2321, 06 Juillet 1994.
5. Ibid.
6. Entretien avec Jacques Rozier par Antoine de Baecque, « Rozier tous azimuts », in Libération. 02 Novembre 2001.
7. Emilie Breton, « Jacques Rozier, le maître du temps », in catalogue du Festival du Film de la Rochelle. 1996.
8. Jean Collet, « Entre le badinage et la chagrin », in L’Avant-scène. n° 31.
9. Joachim Lepastier, http://www.arkepix.com/kinok/DVD/ROZIER_Jacques/dvd_coffret.html.
10. Ibid.
11. Frédéric Bonnaud, « Quelqu’un qui fout la trouille – l’entretien des Inrocks », in Les Inrockuptibles. n° 66, 24 Juillet 1996.
12. Jean Collet, « Entre le badinage et la chagrin », op. cit.
13. Jacques Rozier, in Arts. 1962.